samedi 5 septembre 2015

Coup de Coeur des Libraires #1: Un faux pas dans la vie d'Emma Picard

4e de couverture: "Mais avant de me taire, il faut que je dise dans quel enfer on nous a jetés, nous autres colons, abandonnes a notre sort de crève-la-faim sur des terres qui ne veulent et ne voudront jamais de nous oui, il faut que je dise dans quel enfer on nous a jetés". 
C'est la voix d'un seul personnage, Emma Picard, qui s'installe avec ses quatre fils, a la fin des années 1860, sur vingt hectares de terre algérienne offerts par le gouvernement français. L'espoir d'un nouveau départ, pour elle comme pour tant d'autres apprentis colons. On retrouve toute la puissance de l’écriture de Mathieu Belezi dans ce roman aux accents de tragédie. Et le cri de cette héroïne désespérément vivante résonne longtemps en nous.

En créant ce rendez-vous mensuel "Coup de coeur des Libraires", j'espérais être surpris par les lectures proposées. Que celles-ci m'emportent vers des chemins de traverse inconnus, qu'elles me sortent de ma zone de confort littéraire habituelle. 

Ce fut le cas avec ce roman là. Paru en janvier 2015, le nouveau roman de Mathieu Belezi, "Un faux pas dans la vie d'Emma Picard" clôt sa trilogie algérienne. (Je vous rassure, pas besoin d'avoir lu les autres livres pour apprécier celui ci, le cadre (l'Algérie) est le seul point commun des romans, mais les histoires diffèrent et trouvent leur conclusion a la fin de chaque livre). 
Si Marie, de la librairie Gibert Joseph  de Poitiers, ne me l'avait pas proposé, je n'en aurai jamais entendu parlé. Je ne l'ai jamais croisé lors de mes sorties en librairie et je pense même que, si celui ci avait croisé mon regard, je ne me serai jamais arrêté dessus. 

Et j'aurai eu tort! 

Quand Marie m'en a parlé, en m'expliquant que l'histoire se déroulait en 1860, en Algérie: (une femme, Emma, à qui le gouvernement français a promis vingt hectares de Terre algérienne, à condition qu'elle s'installe là bas, part donc avec ses quatre fils pour une nouvelle vie, faite d'espoir et de rêve); que le lecteur allait suivre la vie de cette famille sur cette terre algérienne, et surtout que le récit était raconté par la voix d'Emma (elle raconte à son dernier fils, Léon, leur histoire en Algérie), faisant alterner le passé et le présent, j'ai de suite était intrigué. 
Et encore plus quand Marie me dit que la voix d'Emma l'a tellement marquée qu'elle l'entend encore résonner dans sa tête, 8 mois après sa lecture. 

Après un enthousiasme aussi grand de la part de ma libraire, mes attentes étaient grandes, je l'avoue.

Je dois dire qu'en commençant ma lecture, j'ai été intrigué par la construction du roman: celui ci n'est qu'un long monologue, sans point final (sauf à la fin), entrecoupé de phrases en italique qui représentent le présent, avec certaines répétitions de phrases qui reviennent de manière lancinante. On est un peu déstabilisé, mais le voyage promis est tellement fascinant qu'on est de suite accroché. Puis, on a envie de savoir comment Emma en est arrivé à vivre un véritable enfer. 
J'ai été estomaqué par cette lecture, qui m'a sonné, bouleversé aux larmes (vous ne pourrez pas rester insensible au destin tragique d'Emma et des siens), mais également envoûté par la voix d'Emma, à tel point qu'on a du mal à lâcher le roman. La voix d'Emma vous prend l'esprit, le coeur et l'âme pour ne plus vous lâcher avant la fin. Léon, le fils à qui elle raconte son histoire, c'est moi, c'est vous, c'est nous. Elle s'accroche jusqu'au bout, jusqu'à la fin de cette nuit qu'elle voit arriver avec effroi. Elle a peur de ne pas pouvoir terminer le récit de son histoire avant l'arrivée de l'aube. 

C'est un roman émouvant, mais l'émotion n'empêche pas de découvrir une Algérie inconnue (honnêtement, je ne connaissais pas le pan de cette histoire: ces français à qui le gouvernement donnait des terres en Algérie pour pouvoir prospérer et faire fortune (mais le plus souvent, c'est la misère qui les attendait au bout du voyage) m'était totalement inconnu. J'ai aussi découvert, grâce à la plume poétique de Mathieu Belezi, une terre algérienne dure et violente, avec des tempêtes, des Siroccos qui vous soufflent aux oreilles et hantent votre esprit et à ces nuées de sauterelles qui dévastent tout sur leur passage, détruisant tous les espoirs d'Emma. Cela aussi est fascinant et tellement bien raconté par Emma. 

En choisissant la voix d'un seul personnage (Emma), Mathieu Belezi a fait de son roman, un texte très théâtral, qu'on ne peut s'empêcher de lire à haute voix. Je vous assure que lors de ma lecture, j'ai tout de suite vu Emma sur une scène de Théâtre raconté à un public, (composé d'un seul spectateur certes) son histoire bouleversante. Ce monologue se prête très bien à la scène et se doit d'être lu a voix haute. D'ailleurs, je n'ai pas pu m'empêcher de lire certains passages à voix haute pour m'imprégner encore plus du texte. Je vous assure que c'est une expérience que vous n'oubliez pas: la voix d'Emma résonne encore plus vibrante et déchirante à vos oreilles et vous laisse le coeur fendu. 

Au final, un roman qui m'a ému aux larmes et qui résonnera encore longtemps en moi. Un destin tragique d'une femme qui voulait simplement débuter une nouvelle vie dans un pays lumineux, mais tellement cruel. Une femme qui a cru cet homme en cravate qui lui promettait une nouvelle vie pleine d'espoir...un espoir finalement déçu. 

Un petit aparté tout de même: plus haut, je parle d'un "roman théâtral" que j'imaginais très bien sur une scène. Je pense que comme moi, quand vous lisez un livre, vous dessinez dans votre esprit les visages des personnages. En écoutant la voix d'Emma, je n'ai pas pu m'empêcher de voir le visage d'une actrice et d'entendre sa voix: celle d'Ariane Ascaride. Alors je sais qu'Ariane n'a pas l'âge du rôle:et alors. 
Je vous présente, "mon" Emma: 




Merci à Marie de la librairie Gibert Joseph de Poitiers, de m'avoir présenté Emma Picard. Cette rencontre bouleversante me marquera longtemps. (L'avis de Marie, libraire à Poitiers (Radio France Bleu) )


qui devient également le mien. 



Mathieu Bélézi: Un faux pas dans la vie d'Emma Picard, Flammarion, 256 pages, 2015




4 commentaires:

  1. J'avais hâte de voir ce que donnerait ce rendez-vous mensuel et je ne suis pas déçue, j'ai noté le titre, le côté monologue me fait un peu peur, mais c'est tellement beau ce que tu en dis que je vais me laisser tenter!

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    1. Il est vrai que c'est un monologue dans sa construction particulière, , mais c'est aussi dans le sens d'une narration utilisant le "je". Il y a tout de même des dialogues.Il est à découvrir absolument.

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  2. Je ne connaissais pas du tout du tout... merci pour la découverte!

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    1. Mais c'est un plaisir! J'espère que tu pourras l'avoir en main un jour pour le lire car ce livre est une petite pépite.

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