vendredi 18 août 2017

Rentrée Littéraire #2: La Muette

4e de couverture: Il existe, à quelques kilomètres de Paris, un lieu méconnu, même si des événements majeurs s’y sont déroulés : la cité de la Muette. À l’origine, elle devait être un fleuron de l’architecture française. Dessinée par deux grands architectes, elle représentait une réponse au Bauhaus allemand, et une révolution du logement populaire. Mais le chantier a été interrompu avant-guerre et, de 1941 à 1944, la Muette est devenue le camp de Drancy, administré par les gendarmes et les nazis. Depuis ces bâtiments, soixante-sept mille Juifs furent déportés.

Le destin de cette cité, qui concentre ce qu’on ne veut pas voir à la fois dans l’histoire et dans la société françaises, ne s’arrête pas là : après la Libération, elle a été aménagée pour y créer des logements sociaux. Les anciennes chambrées des détenus, cloisonnées à la va-vite pour faire des studios et des deux-pièces, sont encore habitées de nos jours.

Dans ce roman choral, l’auteur nous invite à suivre le parcours de deux personnages attachants, Elsa, détenue en 1943, et Nour, un jeune Beur d’aujourd’hui. Ils n’ont pas la même langue, pas le même rapport au désir ni à la mort, mais leurs histoires s’entremêlent et se répondent. Si bien qu’au croisement de leurs monologues, on croit entendre les voix de la Muette.

Alexandre Lacroix nous livre un roman à deux voix pour nous parler de l'histoire d'une cité: celle de La Muette. 

Ce roman m'a intrigué par son procédé: avoir  un double visage d'une cité de la banlieue parisienne. C'est tout d'abord le parcours d'Elsa qui m'intéressait puisqu'on va la suivre dans ce camp de Drancy où elle fut en attente de déportation, en 1943. J'ai toujours été intéressé par cette période de l'histoire et revenir sur ce camp de transit dont j'entends parler depuis des années,comme une ombre planant sur cette partie sombre de notre histoire, sans vraiment savoir ce qui s'y était passé, fut des plus bouleversants.
Elsa va alors nous prendre par la main et raconter son quotidien terne et morbide dans ce camp de Drancy. J'ai été souvent au bord du malaise devant son récit, où la dure réalité de cette partie de l'histoire nous happe et nous bouleverse. Elsa nous raconte son histoire sans fioriture, en n'omettant pas la crasse, la peur provoqué par les SS qui se trouvaient là, mais aussi par la petite lueur d'espoir qu'elle gardait tout de même comme le passage où elle raconte à l'historien qui la contacté, les heures d'école qu'elle donnait en cachette aux enfants du camp. Elle nous raconte son amitié avec Louise, une jeune femme qui partageait sa couverture, mais également les dénonciations, les tortures...sans fard et sans rien omettre, même le plus difficile. 

Devant ce récit poignant, celui de Nour, jeune homme d'aujourd'hui, vivant dans la Cité de la Muette (qui abrita le camp de Drancy durant la guerre) parait bien pâlot et plus cru, sans charme et empli d'un peu de vulgarité. C'est un jeune mec désabusé par la vie, qui essaye de se trouver une place dans cette cité morne et sans vie, et qui réussit à s'y trouver bien grâce à ses amis Jamie et Samantha.
Quand son histoire commence, Nour est chez les flics pour être interrogé. Progressivement il déroule son histoire à l'inspecteur qui l'interroge et on va comprendre comment il en est arrivé là. Il va nous raconter les plans galère, la drogue, même s'il n'en consomme pas, ses virées parisiennes, son histoire de cul avec Samantha, la copine de son pote Jamie, tout ça dans une langue d'un jeune de cité, qui résonne à notre oreille, comme le témoignage d'une jeunesse désoeuvré. . 

L'histoire de ces deux jeunes gens (à peu près du même âge, mais à des époques différentes) que l'auteur a décidé d'alterner d'un chapitre à l'autre, m'a beaucoup plu car elle permet d'avancer dans le roman en évitant d'entrer dans le malaise. En effet, l'histoire d'Elsa était tellement dure que le parcours désabusé de Nour, faisait comme une sorte de respiration, même si ce qu'il racontait n'était pas très joyeux non plus.
La force du roman, c'est l'écriture d'Alexandre Lacroix. Il a complètement réussi à faire entendre deux voix bien distinctes au lecteur, ce qui fait qu'on entendait à notre oreille, la voix d'Elsa, puis celle de Nour, ce qui les rend plus proche de nous et lui donne une certaine réalité. 
Voici deux parcours que l'on croit bien différents au premier abord, mais qui se rejoignent par bien des aspects (comme la désillusion,le désœuvrement), et qui nous montre l'évolution de cette cité. Ce qui m'a le plus frappé, en définitive, c'est que le présent de Nour fait écho aux souvenirs d'Elsa, comme quand Nour parle de ce que Bernard, cet homme qui ne vit que pour boire, lui montre ce qu'il a trouvé dans sa cave: le dessin d'une femme avec une date: août 1943 (comme si cette femme dessinée était le portrait d'Elsa ou Louise et que ces dernières avaient vécues à cet endroit là et avaient laissé une trace). Ce fut sacrément troublant. 

Au final, un roman bouleversant et intriguant qui nous fait entendre la voix d'une cité, à travers le temps, celle de la Muette, comme pour garder une trace de ce qui se passe dans les banlieues. Ce n'est pas misérabiliste, ni cliché. C'est simplement la vie. La vie de deux êtres que tout oppose en apparence: un jeune beur et une vieille dame,qui, de par leur histoire, nous démontre que leur vie est tellement proche et pas si différente, par certains aspects. 
Avec ce livre, l'auteur a voulu "donner des voix à la Muette". Il a fortement réussi car les voix d'Elsa et de Nour résonnent en nous, bien longtemps après avoir tourné la dernière page. 

Merci aux Editions Don Quichotte pour cette découverte déconcertante.

Alexandre Lacroix: La Muette, Don Quichotte, 205 pages, 2017


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